Février : Publication du livre du militant communiste Henri Alleg, « La Question », par les Éditions de Minuit. Entièrement écrit dans les prisons françaises pendant l’année 1957, après que son auteur ait résisté à la torture, le livre dénonce la violence des prisons françaises en Algérie. Il a contribué à lancer un débat national sur le sujet et de nombreux intellectuels, journalistes, etc. font entendre leur voix. Les critiques se faisant de plus en plus vives, le gouvernement ne peut plus les ignorer. « La Question » est immédiatement interdit dès sa sortie en librairie. Réédité en Suisse, il bénéficie alors d’une large diffusion et à beaucoup contribué à la dénonciation de la torture en Algérie.
> Article : La Question, histoire d'un manuscrit
> Article Wikipedia : La Question
13 avril : Fondation de l'équipe de football du FLN, surnommée « Les Onze de l'Indépendance ». L'équipe est constituée de joueurs professionnels qui jouent en France métropolitaine. La formation de cette équipe dissidente est un geste politique destiné à montrer que même les footballeurs s'impliquent dans le conflit Algérien. Douze joueurs désertent ainsi leurs clubs respectifs en France et se retrouvent à Tunis, où siège le GPRA (Gouvernement provisoire de la République Algérienne) et où ils disputeront leur premier match. Ils sont accueillis très officiellement par Ferhat Abbas et par le président tunisien, Habib Bourguiba.
La couverture médiatique de l'événement est particulièrement réussie et de nombreux journaux, sportifs et généralistes, rendent compte de l'événement. Pendant quatre années, de 1958 à 1962, l'équipe jouera plus de 90 matches dans de nombreux pays étrangers et ce malgré l'opposition la FIFA qui, à la demande de la France, menace de sanctions les pays qui accepteraient de les faire participer aux compétitions officielles. L'action de terrain de cette équipe constituera un important outil de propagande des thèses du FLN sur le conflit Algérien et aidera à les faire connaître à l'opinion internationale et aux gouvernements des pays visités par l'équipe.
En 1962, tous les joueurs, devenus de véritables héros, intègreront l'équipe nationale algérienne. Ferhat Abbas leur dira qu’ils avaient « fait avancer de dix ans la cause de l’indépendance algérienne ».
> Vidéo : « Algérie : l'épopée de l'équipe du FLN »
13 mai : Coup d'État d'Alger. À l’occasion d’une manifestation des français d’Algérie en soutien à l’Algérie française, menée avec l'appui des officiers de l'armée française, la foule envahit l’immeuble du Gouvernement général, symbole de la présence française en Algérie. La situation échappe alors complètement au gouvernement qui s’avère trop faible pour réagir. Le lendemain, le général Salan appelle au retour au pouvoir du Général de Gaulle. De Gaulle se dit alors « prêt à assumer les pouvoirs de la République».
20 mai : Naissance d’Anne-Marie Sanchez, deuxième enfant d'Arlette et Arman, au domicile familial, 5 rue Schneider à Oran.
Du 4 au 7 juin : Premier voyage du Général de Gaulle en Algérie. Le 4 juin, à Alger, il prononce un discours qui commence par les mots « Je vous ai compris ! ».
Cette phrase, pourtant, ne signifie pas qu’il s’engage à garder l’Algérie française. En effet, son projet, pour l’instant, est de rétablir l’autorité de l’État et, pour cela il va proposer une nouvelle République dans laquelle le président aura beaucoup plus de pouvoir. Ce sera la Ve République. C’est donc la situation en Algérie et la pression des partisans de l’Algérie française qui a ramené De Gaulle au pouvoir en France et qui a mis fin à la IVe République.
Septembre : Marc rentre en cours élémentaire première année à l'école Jules Renard. C’est l’occasion de prendre une belle photo de classe pour laquelle Marc porte son pull à col roulé marron et jaune préféré…
19 septembre : Création et annonce en Égypte du Groupement provisoire de la République Algérienne (GPRA), présidé par Ferhat Abbas. Cet événement place les autorités françaises, qui prétendaient ne pas avoir d’interlocuteur pour négocier, devant le fait accompli d’une proposition qu’ils ne peuvent plus refuser. C’est le GPRA qui négociera les Accords d’Évian avec la France en 1962.
> Article Wikipedia : Gouvernement provisoire de la République algérienne
28 septembre : La Constitution de la Ve République est approuvée par référendum.
3 octobre : Le Général de Gaulle annonce, depuis la mairie de Constantine, le lancement d'un plan de développement économique et sociel de l'Algérie. Il sera nommé « Le Plan de Constantine » et ses objectifs seront d'améliorer la vie quotidienne des populations algériennes, leur logement, la scolarisation des enfants et leur accès aux diverses ressources dont bénéficient les français d'Algérie mais qui leur sont toujours inderdites. Malheureusement, moins d'un an plus tard, les déclarations du Général de Gaulle devaient mettre un terme à ce plan ambitieux mais bien tardif et qui n'eût pas le temps d'être largement appliqué
> Article : Le Plan de Constantine
> Article : L'annonce du Général de Gaulle
5 octobre : Anne-Marie Sanchez est baptisée à l’église Saint-Esprit, Place de la Bastille à Oran.
23 octobre : De Gaulle propose « La Paix des Braves » au FLN. C’est à l’occasion d’une conférence de presse, qu’il leur propose ainsi de se rendre dans l’honneur, affirmant que, s’ils se rendent, ils seront bien traités. Naturellement, le FLN rejette l’offre. Mais c’est là un premier pas qui annonce les complexes négociations futures.
26 novembre : Naissance de Maria Letizia Profiri à Cerveteri en Italie.
Son père, Pietro Profiri, est pharmacien et travaille depuis peu dans une pharmacie de Ladispoli ; sa mère, Laura Tronati, est maitresse d’école élémentaire. Ils ont quitté Rome et, en raison du nouveau travail de Pietro, et viennent de s’installer dans la petite ville de Ladispoli. Letizia est née à la maison, avec l’aide de la nonna Olga (Olga Grilli Tronati), la maman de Laura, et d’une sage-femme de la ville. Sa naissance est déclarée à la mairie de Cerveteri, dont dépend Ladispoli.
Cerveteri est célèbre pour sa nécropole étrusque monumentale dans laquelle a été découvert le plus beau des sarcophages étrusques qui soit : « Le Sarcophage des époux » de Cerveteri, qui date du 6e siècle avant JC. Il en existe deux versions différentes, dues certainement au même atelier ; la première se trouve à Rome à la Villa Giulia et la seconde fait partie des chefs-d’œuvre des collections du Louvre. La présence de l’épouse, au tout premier plan de la représentation des défunts, est caractéristique de l’importance qui était accordée aux femmes dans les civilisations étrusques préromaines.
> Article Wikipedia : Le Sarcophage des Époux
Automne : La famille Sanchez, en promenade du dimanche à Oran, se fait photographier. Marc est à présent un grand garçon de presque 7 ans et Anne-Marie, qui n’a que 5 mois, ne marche pas encore toute seule.
21 décembre : Le Général De Gaulle est élu Président de la République française. Son élection apporte un regain d’espoir en Algérie car tous sont en attente de ses premières prises de positions et actions pour maintenir la présence française en Algérie. Ils ne savent pas encore, qu’au tout premier rang de celles-ci figurera le référendum pour l’autodétermination…
22 décembre : Marc a sept ans, Anne-Marie sept mois et Letizia un mois.
6 février : Lancement du Plan Challe en Oranie. Le général Maurice Challe a pris la succession du général Raoul Salan a la tête de l’armée. Son projet, le Plan Challe, est de détruire l’ALN (Armée de libération nationale) par une guerre de terrain sans merci qui fera même appel aux bombes au napalm.
En quelques mois, plus de 25 000 opposants sont tués et sont faits plus de 10 000 prisonniers. La victoire française sur l’ALN est évidente et nul ne se doute encore qu’il s’agit là des opérations préparatoires aux négociations futures que De Gaulle veut mener avec le FLN et qui commenceront par l’annonce du 16 septembre…
17 février : Michel Rocard remet aux autorités françaises le rapport qu'il a établi sur les camps de déplacement des populations des villages indigènes en Algérie. Michel Rocard est alors un jeune inspecteur des finances de 28 ans et il vient de passer quelques mois en Algérie - de façon non officielle - pour y prendre connaissance d'une situation qui était inconnue du public à l'époque, bien que déjà mise en application depuis deux années : celle des camps de regroupement des populations alégriennes. Entre un et deux millions de personnes sont concernées et, dans des conditions déplorables d'hygiène, de santé, d'alimentation et d'humanité, elles ont été déportées de leurs villages (en y laissant la plupart du temps tous leurs biens, animaux, cultures, etc.) pour être parquées et entassées des camps contruits à la va vite. La raison évoquées est d'empécher ces populations d'apporter leur aide au combattants du FLN qui s'abritaient dans leurs villages. Les morts sont très nombreux et Michel Rocard les évalue à plusieurs centaines de personnes chaque jour ! Au sein du gouvernement français, le rapport fait scandale et il devient impossible de l'étouffer. Il est communiqué à la presse (encore une fois non officiellement) deux mois après sa remise. France Observateur, le 17 avril, et Le Monde, le 18 avril, rendent publique la situation et le scandale devient connu de tous. Le gouvernement français est alors obligé de modifier sa politique et d'accorder quelques moyens financiers pour améliorer la situation générales des regroupés. Ce n'est que plus de quarante ans plus tard, en 2003, que ce rapport fut publié par les Éditions Mille et une nuits
> Vidéo : Michel Rocard et la Guerre d'Algérie
> Article Médiapart : Un déshonneur de la République
Printemps : Dès les beaux jours du printemps, la famille Sanchez profite de la piscine du Gallia qui se trouve dans le quartier du « Village Nègre » (aujourd’hui M’dina J’dida). C’est la grande et belle piscine en plein air d’Oran avec palmiers et cafétéria. C’est là que sera prise la première véritable photo en couleurs de la famille avec Arlette, cheveux blonds et maillot bleu et blanc, et Marc et Anne-Marie prennent la pose pour l’occasion ! Armand, qui est très mince a 35 ans et Arlette a tout juste 25 ans.
3 mai : Naissance à Oran de Jean-Claude Rodriguez, le second enfant de Marinette et Jeannot et frère de Véronique. À sa naissance, Véronique a un an et demi.
20 mai : Anne-Marie Sanchez fête son premier anniversaire. Elle commence à marcher et fait déjà des tentatives d’équilibre sur un seul pied !
Il faut dire qu’elle porte les toutes nouvelles Babybotte à tuteur sur le talon qui font garder le pied bien droit ! À l’époque, ce sont les meilleures chaussures pour apprendre à marcher, ce qui est bien normal lorsque l’on est l’enfant d’une famille de bottiers ! Et Anne-Marie semble toute contente de prendre la pose pour sa première photo d’anniversaire !
Été : Ce sont les vacances et les familles Sanchez et Rodriguez se retrouvent au cabanon de Bou-Sfer ! L’on y fait de joyeuses photos de famille sur la terrasse qui réunissent : Thérèse et Marcel Sanchez ; Henri Laurent, le fils que Thérèse a eu avec son deuxième mari ; Arlette avec Armand, son mari et leurs enfants, Marc et Anne-Marie ; Christiane Herrera ; Mr et Mme Gimenez ; leur fille Marinette avec Jeannot, son mari et leurs deux enfants, Véronique et Jean-Claude.
L’été, les vacances, la plage, l’anisette et la kemia permettent d’oublier un peu la dureté et la violence de la période que traverse l’Algérie et l’incertitude du futur qui ne fait que croitre.
Septembre : La famille Sanchez est en promenade dans le jardin du Petit-Vichy. C’est dimanche, toute le monde est bien habillé, c’est l’occasion de prendre une belle photo sur l’une des balançoires suspendues du jardin. Marc, qui est bien bronzé après avoir passé l'été au cabanon, porte une belle chemise de coton blanc à la coupe ample et au grand col sur un pantalon court qui semble de couleur beige. C’est le nœud papillon western qui fait tout l’élégance de la tenue, sans parler de coupe de cheveux avec houpette en pointe ! Anne-Marie a une belle robe et le regard vif et Arlette, comme toujours, tient ses lunettes à la main car, pendant toutes ces années, jamais – sauf une seule fois où elle a été prise par surprise à Bou-Sfer - elle ne s’est laissée photographier avec ses lunettes !
La famille est accompagnée de Dolorès, la Petite Mémé, qui habite à proximité et qui garde Marc tous les jeudis, lorsqu’il n’y a pas d’école. C’est aussi le jeudi qu’elle lui prépare son plat préféré : des escargots à la tomate ! Achetés au marché de la rue de la Bastille deux ou trois jours avant, elle les a fait dégorger avec soin et la cocotte où ils cuisent parfume tout son petit appartement.
Il est situé au fond d’une cour de la rue de l'Artillerie, à côté du cinéma Le Colisée, et c'est là que vit Dolorès depuis qu’elle a quitté sa maison de Saint-Eugène où elle s’était retrouvée bien seule après la mort de son mari (et après avoir fait un petit passage par le 5 rue Schneider où elle s'était installée temporairement dans la future chambre de Marc, au bout du couloir, quand il était suffisamment petit pour dormir dans la chambre de ses parents, puis dans le salon).
Il faut dire que les « caracoles » de la Petite Mémé sont l’un des plus vifs souvenirs gustatifs et culinaires de l’Algérie que conservera Marc toute sa vie et la gentillesse que la Petite Mémé porte dans son regard y était certainement aussi pour quelque chose !
> Vidéo : La recette des escargots à la tomate
16 septembre : Le droit à l’autodétermination du peuple algérien est accepté par De Gaulle. Les Algériens eux-mêmes devront donc choisir par un vote si l’Algérie doit devenir ou non indépendante.
L’indépendance est envisagée pour la première fois comme une solution politique possible. C’est un tournant très important dans l’histoire de la guerre d’Algérie. La population musulmane étant beaucoup plus nombreuse que la population européenne (il y a neuf fois plus d’Algériens que d’Européens), une « Algérie algérienne » a donc de fortes chances de voir le jour. Ce qui signifie donc, à courte échéance, le départ des français…
Septembre : Marc rentre en cours élémentaire deuxième année à l'école Jules Renard.
Novembre : Publication du livre de Frantz Fanon, « L’An V de la Révolution algérienne » aux éditions François Maspero à Paris.
Publié pour la première fois en 1959 et sans cesse réédité depuis, ce « classique de la décolonisation » reste d'une profonde actualité pour comprendre les ressorts du mouvement d'émancipation qui conduisit à la guerre d'indépendance algérienne. Ce livre est né de l'expérience accumulée au cœur du combat, au sein du FLN. Car Frantz Fanon, né antillais et mort algérien (1925-1961), avait choisi de vivre et de lutter parmi des colonisés comme lui, en Algérie, pays du colonialisme par excellence. Texte militant, cet ouvrage fut aussi la première analyse systématique de la transformation qui s'opérait alors au sein du peuple algérien engagé dans la révolution.
Ce texte, parmi les tout premiers publiés aux Éditions Maspero, décrit de l'intérieur les profondes mutations d'une société algérienne en lutte pour sa liberté. Ces transformations, la maturation politique et sociale, ignorées alors qu'elles étaient justement les fruits de la colonisation et de l'humiliation, présidèrent pourtant largement au processus qui mena à la guerre d'Algérie, « la plus hallucinante qu'un peuple ait menée pour briser l'oppression coloniale ». (Extrait du texte de présentation de la réédition de l'ouvrage aux des Éditions La Découverte)>
22 décembre : Marc a 8 ans, Anne-Marie a un an et demi. Maintenant, elle aussi se promène toute seule dans le jardin du Petit-Vichy.
1er janvier : Arrivée du Nouveau Franc en Algérie. Comme en métropole à la même date, le Nouveau Franc fait son apparition en Algérie. Cette nouvelle monnaie a été souhaitée par le Général de Gaulle, dès son arrivée au pouvoir en 1958. Pour cela, il avait confié à Antoine Pinay de soin de créer un « franc lourd » qui ferait bonne figure sur les marchés des changes internationaux. Sa valeur multipliée par 100, le Nouveau Franc sera la monnaie officielle en Algérie jusqu'au 31 mars 1964, date à laquelle le pouvoir en place décidera la création du Dinar Algérien. Un Nouveau Franc Algérien a la même valeur qu'un Nouveau Franc Français mais son dessin est différent et, sur sa face arrière, le texte est en arabe.
4 janvier : Christiane Herrera et Henri Laurent se marient à Oran. Belle robe à la taille serrée avec voile court pour Christiane et nœud papillon blanc pour Henri, sur la photo de l’événement.
Ils se connaissent depuis longtemps. Ils ont été élevés ensemble à partir du moment où le petit Henri est revenu vivre avec sa mère, en mai 1947, à l'âge de 7 ans. Il a, auparavant, passé quelques années (de 1943 à 1947) avec sa grand mère paternelle car, lorsque sa maman s'est séparée de son deuxième mari, Robert Laurent, il a voulu garder leur enfant, Henri. A partir de son retour chez sa maman, Henri et Christiane ont été élevés ensemble car, entre temps, Christiane avait été recueille par la famille Calvet (Maria, la Grand Mémé, et Thérèse, sa fille, qui vivait avec elle) à la mort de sa maman, en 1941. Christiane et Laurent sont cousins car leurs mamans sont soeurs. Christiane a 25 ans et Henri a 19 ans.
4 janvier : Décès d'Albert Camus, d'un accident de la route avec la voiture conduite par Michel Gallimard, sur la nationale 5 entre Sens et Paris. La disparition de Camus est un choc violent, pour le monde de la littérature mais également pour tout le monde de la culture en général. Prix Nobel de littérature en 1957, auteur prolifique, homme de théâtre, grand humaniste et défenseur des droits, tout au long de sa vie, Albert Camus a affirmé des positions d'équilibre dans de grands conflits et, notamment, dans celui de l'indépendance Algérienne. Même s'il quitte l'Algérie en 1940, ce pays, dans lequel il était né en 1913, restera toujours celui de son coeur auquel il était attaché profondément. Il y est revenu à plusieurs reprises, par exemple en 1956 pour y proclamer son « Appel à la trève civile ».
> Enregistrement sonore d'Albert Camus : Discours de réception du Prix Nobel, 1957
> Enregistrement sonore d'Albert Camus en 1958 : L'Algérie de demain
> Article : Camus, l'Algérien ou l'étranger ?
Dans la Facel-Vega de Michel Gallimard, détruite par l'accident qui lui fit percuter à grande vitesse les platanes qui bordaient la route nationale, le conducteur, Michel Gallimard, et le passager assis à l'avant, Albert Camus, trouvèrent la mort. Les deux passagères assises à l'arrière, la femme et la fille de Michel Gallimard, sont indemnes. Camus a seulement 46 ans, il est l'auteur d'une oeuvre abondante et sa reconnaissance est internationale.
Dans une sacoche de cuir, placée dans le coffre de la voiture, on retrouve un manuscrit de 144 pages représentant un travail en cours dont Camus avait informé certains de ses amis. A la fois roman et texte autobiographique, il représente l'actualité des préoccupations de Camus pour son enfance et sa jeunesse. Les premières pages mettent en situation la naissance en Algérie d'un enfant prénommé Jacques, par une nuit d'orage et dans des conditions précaires. Le père, à ses côtés, décèdera peu après et la mère, qui n'entend pas, est de peu de paroles. Les chapitres suivants décrivent, pour l'enfant devenu adulte, la recherche peu fructueuse des origines et des racines, l'histoire de son père mort à la guerre, la misère de la famille et l'immense fossé de culture qui l'en séparait ; et l'amour, du soleil, du ciel et des femmes, et surtout de celui qu'il éprouva pour la plus grande rencontre amoureuse de sa vie, Maria Casarès, qu'il ne nomme pas. Puis le texte s'interrompt, inachevé.
C'est sous le titre « Le Premier Homme », emprunté à l'un des chapitres du manuscrit, qu'il sera publié chez Gallimard 34 ans plus tard par la fille de Camus, Catherine, qui suivra personnellement le travail de publication des notes et des parties peu lisibles. Texte dense, lumineux et au lyrisme sombre, il représente le travail le plus autobiographique de Camus, après son tout premier texte « L'Envers et l'Endroit », écrit à l'âge de 22 ans et publié en 1937. « Le Premier Homme » est dédié par Camus à sa mère, Catherine Sintès : « A toi, qui ne pourra jamais lire ce livre ». Elle est morte la même année que son fils, peu après lui. Elle ne savait pas lire.
> France Culture : « Le Premier Homme », lu par Françoise Fabian
24 janvier : Premier jour de la semaine des « Barricades d’Alger », organisée à l’initiative des activistes qui souhaitent maintenir l’Algérie française. La manifestation est réprimée par l’armée qui tire sur les manifestants, faisant un vingtaine de morts. En une semaine, les meneurs, qui voulaient provoquer une épreuve de force sont arrêtés. La révolte tourne court mais elle signale une radicalisation de plus en plus forte des partisans de l’Algérie française.
Printemps : Christiane et Henri sont à présent mariés et Christiane porte son alliance au doigt ! Cheveux courts et teinture blonde lui donnent l'air d'une toute jeune fille espiègle, ce que confirme sont regard pour la photo ! Henri, lui, n'a pas encore 20 ans et c'est la saison des glaces aux terrasses des cafés sur les boulevards où l'on emmène aussi la petite Anne-Marie qui va bientôt avoir deux ans !
18 avril : Lundi de Pâques.
Comme de tradition dans toute la communauté d'origine espagnole d'Algérie, et surtout à Oran, le lundi de Paques est l'occasion d'une grande sortie en famille à la campagne.
Aussi loin que remontent les souvenirs familiaux, c'est vers le petit village de Misserghin, à une quinzaine de kilomètres au sud de la ville, que tout le monde se dirige. On y va en taxi, réservé depuis plusieurs jours pour l'aller et le retour et, plus tard, avec les voitures de la famille. On s'y installe sous les arbres et c'est là que l'on va préparer la paëlla champêtre. Au feu de bois ou au réchaud à gaz, les viandes et les légumes rissolent pendant que l'on va chercher à la fontaine l'eau pour cuire le riz puis que la paëlla mijote. C'est l'heure de l'anisette et de la kémia, il fait déjà chaud et l'ombre est généreuse pour patienter pendant la cuisson. Nous sommes là dans la grande tradition des moments festifs de Pâques des Espagnols d'Oran - dont les gravures du XIXe siècles témoignent déjà - et il ne saurait être question de ne pas y sacrifier !
Par tradition, c'est à proximité à la Grotte de la Chapelle de la Vierge de Notre-Dame de Lourdes, à qui tous rendront visite dans l'après-midi, que l'on s'installe. Les offrandes et les ex-votos de remerciement tapissent l'intérieur de la grotte au milieu de laquelle se trouve une statuette de la Vierge Marie qui faisait partie des grands lieux de pélerinage des chrétiens, avec, naturellement, la Vierge du sanctuaire de Santa-Cruz à Oran. En 1978, ces statues ont été transportées et réinstallées à Nimes, dans le nouveau lieu de pélerinage des français d'Algérie catholiques où de nombreux Pieds-Noirs retrouvent le lien à la fois avec leur foi et avec leur mémoire.
Mais la journée à Misserghin était également l'occasion de partager le gâteau oranais traditionel de Pâques : la Mouna. Véritable tradition institutionnelle et absolument incontournable, la Mouna se préparait tout spécialement pour être consommée lors du pisque-nique du Lundi de Pâques. Les origines du nom sont multiples et controversées mais il semblerait qu'elles soient espagnoles et de la région d'Alicante. Les liens avec la religion sont incertains et consommer la Mouna relève plus d'une tradition laïque célébrant l'arrivée du Printemps que d'un hommage à l'hisoire du Christ. Quoi qu'il en soit, il ne saurait être question, pour un Pied-Noir d'Oran, de ne pas goûter à la Mouna le jour du lundi de Pâques. On ne sait jamais, ça pourrait porter malheur !
> Article Wikipédia : La Mouna
> Article La recette de la Mouna en vidéo
Juin : Marc fait sa communion privée. Il a huit ans et demi.
Juillet : Parution du numéro 31 de la revue « Simoun », entièrement consacré à Albert Camus. Sous le titre « Camus l'Algérien », Jean-Michel Guirao et Emmanuel Boblès réunissent quinze participations d'auteurs qui tous rendent hommage à Albert Camus à la suite de sa disparition brutale en janvier 1960. Ce numéro sera l'avant-dernier de l'ambitieuse revue littéraire oranaise qui parut pendant neuf années car l'indépendance de l'Algérie y mettra fin en 1961.
Été : Nouvel été de vacances en famille à Bou-Sfer Plage. C’est l’occasion de prendre quelques photos. Sur l’une d’elle, on y voit Christiane aux côtés de la Petite Mémé. Christiane, qui s’est mariée au début de l’année, est enceinte de sept mois.
Septembre : Marc rentre en cours moyen première année à l'école Jules Renard. Ce sera sa dernière année d’école en Algérie.
5 novembre : Naissance d'Hubert à Oran, le premier enfant de Christiane et Henri.
22 décembre : Marc a neuf ans et Anne-Marie, deux ans et demi.
8 janvier : Référendum national sur l’autodétermination en Algérie : le « oui » l’emporte très largement avec 75% des suffrages exprimés en métropole et 69% en Algérie. Même s'il était attendu, le choc est violent car la fin de l'histoire algérienne semble encore se rapprocher.
11 février : Création de l'OAS (Organisation armée secrète) à Madrid pour s'opposer à l'autodétermination.
Avril : Parution du premier livre de Pierre Nora « Les Français d'Algérie ». Pierre Nora, à l'issue de ses études d'Histoire a été professeur au lycée Lamoricière d'Oran pendant deux ans, de 1958 à 1960. Après son retour d'Oran, il décida d'écrire ce petit livre virulent pour exprimer son point de vue sur le drame de la situation algérienne et de cette guerre qu'il estime déjà perdue. Un portrait des pieds-noirs et une histoire de la colonisation, le tout écrit « à chaud » par le tout jeune historien.
En 2012, Pierre Bourgois réédite le livre, augmenté d'une préface de Pierre Nora qui réactualise le point de vue de l'auteur sur l'Algérie et de la très longue lettre qu'il avait reçue de Jacques Derrida, en avril 1961.
> Vidéo : Pierre Nora présente son livre « Les Français d'Algérie »
21 au 24 Avril : Putsch des Généraux à Alger. Au début du mois d’Avril, De Gaulle déclare, lors d’une conférence de presse que « la France n’a aucun intérêt à maintenir sous sa loi et sous sa dépendance une Algérie qui a choisi un autre destin. » Il apparait donc clair que le choix est fait, l’Algérie sera bientôt indépendante.
C’est alors que des officiers très hauts placés décident de s’opposer à lui. C’est le « Putsch des Généraux », une tentative de coup d’État par des officiers de l’armée française qui veulent renverser le Président de la République pour maintenir à tout prix la présence française en Algérie. Le 21 avril, ils prennent le contrôle de l’aéroport d’Alger, de l’Hôtel de Ville et du siège du Gouvernement général.
Le 23 avril, De Gaulle apparait en uniforme à la télévision et annonce qu’il prend tous les pouvoirs et, s’adressant aux soldats français, ils leur interdit de soutenir les putschistes qu’il ridiculise en les traitant de « quarteron de généraux en retraite ». Le discours est martial, De Gaulle y affirme son pouvoir, et les généraux putschistes, qui sont mal organisés, décident de se rendre (Challe) ou de fuir dans la clandestinité (Jouhaud, Salan et Zeller). Jouhaud et Salan deviendront, par la suite, des figures importantes de l’OAS.
Printemps : Pour tenter de retenir ceux qui commencent à partir pour la France, l'OAS les menaces pour tenter de les en dissuader et diffuse des tracts interdisant aux français d'Algérie de quitter le pays. Des attentats frappent ceux qui n'obéissent pas et ces violences s'ajoutent aux nomnbreux attentats au plastic qui sont devenus quotidiens à Oran et dans toute l'Algérie.
Été : La décision est prise : la famille Sanchez va quitter l'Algérie et va s'installer en France. La situation générale est jugée trop difficile, les attentats se multiplient et le simple fait de sortir dans la rue devient trop anxiogène. Les nouvelles de massacres en nombre, perpétrés par le FLN ou par l'OAS sont diffusés chaque jour. Les barrages sur les routes entre les grandes villes deviennent de plus en plus fréquents et sont le fait de faux militaires ou de vrais fellaghas qui veulent frapper les esprits et semer la terreur.
Armand racontait qu'à cette époque, il traversait fréquemment l'Algérie en voiture pour diffuser ses chaussures aux revendeurs. Un jour, il lui est arrivé de découvrir qu'un massacre venait d'être perpétré quelques instants avant sur la route qu'il empruntait. « Une minute après et c'est moi qui était mort !», racontera-t-il souvent...
Malgré cette situation qui devient de plus en plus invivable, les avis sur la décision à prendre concernant un éventuel départ sont pourtant encore partagés. Il y a ceux - de plus en plus rares - qui espèrent encore en un retournement de situation mais le résultat du référendum, suivi de la déclaration d'Avril du Général de Gaulle, leur enlèvent leur dernier espoir en une issue qui serait positive pour eux. Le slogan des indépendantistes algériens : « La valise ou le cercueil », s'oppose aux menaces de l'OAS et le climat général est invivable. Malgré cela, les départs vers la France commencent à être de plus en plus nombreux.
Dans la famille Sanchez, on commence donc à préparer le départ prochain. Marcel et Thérèse font le voyage en France pour tester la situation. Henri et Christiane, aussitôt leur premier enfant né, sont partis s'installer en France et tout semble bien se passer pour eux. Cela est donc bon signe. Marcel et Thérèse étudient la possibilité de prendre une épicerie en gérance à Paris et ils proposent à Armand et Arlette de faire la même chose. La cousine Francine, qui fait partie de ceux qui ne veulent pas partir, rachete le mobilier de la rue Schneider. Le cabanon de Bou-Sfer, qui malheureusement vient d'être endommagé par une tempête, est devenu invendable en l'état. Le magasin « Le Bottier Modèle » de la rue du Général Leclerc est mis en vente, mais aucun acheteur intéressant ne se présente. Marcel reviendra donc à Oran pour tenter de négocier une vente qui soit la moins catastrophique possible.
Du côté de Paris, Marcel et Thérèse ont conclu l'affaire de l'épicerie et s'installent au 40 rue du Docteur Heulin, dans le 17e arrondissement. C'est un petit commerce qui a un logement attenant avec une entrée séparée donnant sur la rue. Quant à Armand, Arlette, leurs deux enfants et la Petite Mémé, ils s'installeront à la Garenne-Colombes, une banlieue dont ils ne savent rien mais où Marcel et Thérèse leur ont trouvé une épicerie en gérance. Arlette sera donc à la tête d'un commerce qu'elle ne connait pas et Armand devra chercher du travail comme représentant ou comme coupeur de chaussures. A la Garenne-Colombes, tout le monde pourra habiter dans le logement qui se trouve au dessus de l'épicerie. Il dispose d'un petit jardin intérieur pour les enfants et pour le chien de la Petite Mémé. Et le petit Marc, qui a 9 ans et qui vient de terminer son année de CM1, pourra y faire sa rentrée scolaire au mois de septembre.
Tout cela semble presque irréel, la tristesse est profonde de voir ainsi anéantis tous les efforts d'une vie ; mais c'est de survie dont il est question et il faut être plus fort que le désespoir. Personne ne sait encore que cette situation de fin de civilisation va durer toute une année avant que n'ait lieu le grand exode massif des Pieds-Noirs vers la France, en Juillet 1962. Nous ne sommes qu'à l'été 1961. Mais, déjà, il semble que tout se soit écroulé pour la famille Sanchez.
Été : Armand, Arlette, Marc, Anne-Marie et la Petite Mémé quittent Oran et embarquent pour Marseille sur le Ville d’Alger. La voiture, remplie à craquer, est dans la cale du bateau et prend le train de Marseille à Paris avec tout le monde. Armand a tenu à ne pas s'en séparer car elle lui semble le seul objet capable de donner un peu d'autonomie et de liberté dans cette ville inconnue qu'ils vont découvrir et qu'ils espèrent accueillante.
Anne-Marie a 3 ans, Marc a 9 ans et demi, Arlette a 27 ans, Armand a 37 ans, Dolorès a 76 ans.
Une vie nouvelle commence pour eux.
A suivre...